Le domaine de la formation à distance (FAD) se présente à l’heure actuelle comme la « nouvelle frontière » pour les professionnels de l’éducation; de plus en plus nombreux sont les universités et les centres de formation qui choisissent d’activer un bon nombre de leurs cours en mode non-présentiel : une recherche du laboratoire CRIS (CRIS : Centre de Recherche en Information Spécialisée et en Médiation des Savoirs, Université Paris X, cité par Loechel, 2001) en octobre 2000 enregistrait 250 universités virtuelles, le cas le plus célèbre en Europe étant sans doute l’Université Ouverte de Catalogne avec plus de 10 000 étudiants virtuels, alors qu’en France, des exemples significatifs sont représentés par l’Université Campus Ouvert de Grenoble et par le Campus Électronique du Centre National d’Éducation à Distance.
Le grand essor de la formation à distance pendant ces dernières années va de pair avec la diffusion de plus en plus massive des moyens de communication télématiques, qui permettent une transmission immédiate de l’information et qui, annulant les distances physiques, rendent possible l’interaction entre partenaires séparés par des milliers de kilomètres. La présence de ces moyens de communication, de l’Internet notamment, représente aujourd’hui l’atout majeur de la FAD, le moyen le plus efficace pour élaborer et pour mettre en œuvre des protocoles didactiques performants, résistant aux difficultés de communication que la distance engendre parfois, difficultés qui ont déterminé par le passé l’échec d’autres modèles d’enseignement/ apprentissage à distance, notamment celui de l’enseignement par correspondance, qui connut son heure de célébrité mais qui s’effondra après une période de succès éphémère (Loechel, 2001).
Certes, dans le cadre très vaste de la formation à distance, les protocoles didactiques possibles sont nombreux : bon nombre de cours à distance proposés à l’heure actuelle sur le réseau mettent néanmoins en œuvre une approche bien traditionnelle, offrant souvent à l’étudiant la possibilité de télécharger et de lire – plus rarement d’entendre et de voir via la visioconférence – les cours traditionnels : le livre de texte, ou la voix de l’enseignant pendant le cours magistral se présentent donc dans un format numérisé, sous forme de page Web, voire de simple fichier texte. L’étudiant ne doit pas forcément participer au cours, et il a simplement accès aux documents par le réseau. Cette formule très simple présente malgré tout, comme toutes les modalités de FAD, un avantage fondamental : permettre l’accès aux ressources didactiques pour tous les apprenants, y compris ceux qui, pour des raisons de distances physiques ou de handicap, ne pourraient pas autrement accéder à la formation. Cette formule est le plus souvent exploitée dans les cours de perfectionnement offerts par les entreprises à leur personnel, mais elle est aussi adoptée par nombre d’universités ou de centres de formation continue présents sur le réseau.
Néanmoins, il semble évident que les potentialités de la FAD ne se bornent pas à permettre la diffusion de l’information, mais qu’elle peut s’avérer un atout fondamental au niveau didactique, notamment dans le domaine des langues étrangères. Depuis quelques années, les didacticiens se penchent avec un intérêt croissant sur le rôle capital que les techniques de formation à distance, surtout via Internet, peuvent jouer dans les processus d’apprentissage d’une langue : l’accès au réseau signifie pour l’étudiant la possibilité d’entrer directement en contact avec une langue étrangère (L2) authentique au moyen de documents audio et vidéo gratuitement téléchargeables, et grâce au contact et à l’interaction avec des locuteurs natifs de L2 par l’intermédiaire du courriel, du chat, de forums ou encore de projets d’écriture collaborative sur la Toile. La présence de plus en plus massive de ressources pédagogiques d’auto-formation pour l’enseignement/apprentissage des langues étrangères – dont certaines de très grande qualité didactique – montre que la FAD, ou plus précisément que l’« auto-FAD » (« auto-formation à distance ») est d’ores et déjà devenu un moyen de formation pédagogique courant et largement exploité par le grand public.
Les nouveaux protocoles de didactique à distance bouleversent totalement le schéma traditionnel enseignant ? savoir ? élève : comme de nombreuses études l’ont souligné (Lancien, 1998; Lancien, 2002; Barbot, 2002; Loechel, 2001; Pont-Lajus, 2000), la FAD provoque une crise du modèle pédagogique classique en remettant en cause les frontières spatiotemporelles de la classe et du cours traditionnel, ainsi que la répartition classique des rôles de l’enseignant et de l’élève. Le monde entier devient une salle de classe, dans laquelle l’apprenant est maître du système et de son parcours d’apprentissage, et où l’enseignant devient un médiateur des savoirs, un facilitateur, un animateur du réseau des apprenants. C’est aux enseignants – aux professionnels de la didactique notamment – que revient la tâche de rendre possible ce nouveau modèle didactique interactif, qui présente des potentialités nouvelles et fascinantes mais peut aussi s’avérer un piège dangereux. Les risques de la FAD sont en effet fort nombreux, parmi lesquels le fait qu’auto-formation rime souvent avec abandon, celui de l’apprenant confronté seul aux masses de ressources brutes présentées sur le réseau. C’est pour cette raison que nombre de recherches mettent en évidence la nécessité d’une médiation humaine dans des contextes de FAD, et le rôle capital des tuteurs en tant que médiateurs didactiques : ce n’est que par une médiation consciente et avisée que la FAD pourra éviter l’échec d’une nouvelle forme d’enseignement par correspondance.
LE PROJET FF@ RUM :FORMATION À DISTANCE ET RES-SOURCES MULTIMÉDIA AU SERVICE DE L’APPRENTIS-SAGE DU FRANÇAIS LANGUE ÉTRANGÈRE
L’Université de Gênes, et notamment la Faculté de Langues, travaille déjà depuis quelques années sur le plan de la FAD : en 1996, la création d’une licence pour Traducteurs et Interprètes à Acqui Terme, petite ville à 40 km de Gênes, a posé pour la première fois aux enseignants de notre faculté le problème de la distance et la nécessité d’adopter de nouvelles méthodologies hybrides – à la fois en présentiel et à distance –, qui ont donné d’excellents résultats. Pour ce qui concerne plus spécifiquement la langue française, la recherche se concentre à l’heure actuelle sur les potentialités offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) à la didactique du français langue étrangère (FLE) : le projet FF@ rumnaît en 2001 pour mieux comprendre et pour approfondir la connaissance des ressources multimédia au service de l’apprentissage du français, et il se donne comme but l’élaboration d’un portail sur la Toile, dont une première version est déjà disponible sur le réseau à l’adresse hhttp :// wwwww. francesistica-ge. it. Ce portail comprend à l’heure actuelle :
deux répertoires de sites commentés, dont l’un pour les ressources consacrées à la littérature française, et l’autre pour l’enseignement/ apprentissage du français langue étrangère. Pour rendre la navigation à la recherche de ressources pédagogiques plus aisée et plus rapide, chaque site est soumis à une analyse détaillée sur la base de critères aussi bien techniques que didactiques, et à une évaluation « F@ rum » qui en garantit le niveau de qualité et d’accessibilité;
un répertoire d’exercices interactifs de langue française, pour faciliter l’autoformation des étudiants ;
une banque de données sur les incipit du roman français, FrInciRom;
une revue électronique en ligne, qui se veut un espace de discussion et d’échange des connaissances et des expériences dans le domaine de la littérature et de la didactique des langues, et du français en particulier.
Le projet prévoit aussi la formation d’autres banques de données, dont une banque de données terminologique pour les « Languages for Special Purposes » (LSP), un répertoire de ressources pour l’étude de l’argumentation publicitaire, et d’autres sources d’autoformation pour le FLE.
Au cœur de FF@ rumest né le projet pilote d’un Master en Traduction Juridique Spécialisée, qui représente en quelque sorte l’aboutissement de nos recherches dans le domaine de la FAD, mais aussi un nouveau défi, en ce qu’il met en place une méthodologie tout à fait nouvelle, entièrement centrée sur la distance et l’e-learning.
LE MASTER EN TRADUCTION JURIDIQUE COMME PRO-JET PILOTE : DE NOUVEAUX SUPPORTS POUR UNE NOU-VELLE MÉTHODOLOGIE
Le cours en traduction juridique FF@ rum(hhttp :// wwwww. farum. it)a été créé pour combler une lacune dans le panorama de la formation des traducteurs professionnels, car il n’existe pas, à l’heure actuelle, un diplôme de « traducteur juridique », alors même qu’il est fortement demandé par les institutions – par la Communauté Européenne notamment –, qui confient faute de mieux la traduction des textes juridiques à des « juristes linguistes », docteurs en droit qui n’acquièrent qu’avec la pratique une maîtrise des codes linguistiques et de la traduction. La demande du marché du travail étant de plus en plus pressante, FF@ rumse propose donc de former de nouveaux professionnels de la traduction juridique par un cours d’un semestre entièrement réalisé via Internet.
Le public que ce cours se propose d’atteindre est composé pour la plupart de professionnels de la langue et de la traduction, possédant une maîtrise en langues étrangères, en traduction et interprétation, ou bien en droit, et qui désirent perfectionner leur compétence de traduction : à partir du profil de ce public, l’équipe de recherche de l’Université de Gênes a élaboré une méthodologie spécifique qui permet aux étudiants de suivre des parcours d’apprentissage personnalisés, respectant les rythmes et la progression de chacun. Pour ce genre de formation continue, la FAD s’est révélé le choix le plus performant, et le support télématique s’est avéré un choix obligé, ou presque : la souplesse et la grande accessibilité des ressources didactiques sur support informatique, l’absence des limites spatiales et temporelles typiques des cours traditionnels sont apparues comme autant d’avantages fondamentaux pour FF@ rum.
Dans notre Master, l’activité didactique est donc effectuée dans des salles de classe virtuelles, qui ont la fonction d’assurer les rencontres des étudiants avec les enseignants et avec les tuteurs, ainsi que les contacts entre les étudiants. Vu la nécessité d’assurer une fonction de médiation dans le dispositif de FAD, le suivi des étudiants, autant du point de vue didactique que du point de vue administratif, est garanti par une constante activité de tutorat; pour éviter le risque auto-formation = abandon du fait de l’isolement des apprenants, notre protocole didactique prévoit des phases de travail en groupe, afin de stimuler la collaboration et l’interaction des étudiants, ainsi que l’immersion des participants dans un contexte de simulation globale, plus motivant et très important pour fidéliser les étudiants, pris… et capturés dans le piège du jeu (voir infra).
La méthodologie élaborée pour ce Master est fortement ciblée en fonction d’un public adulte, formé de traducteurs et de juristes professionnels qui désirent approfondir leurs connaissances et acquérir de nouvelles compétences spécialisées ; elle est en même temps solidement axée sur une conception précise du rôle fondamental et irremplaçable de l’enseignant en tant que facilitateur dans le processus d’apprentissage.
Enfin, s’il est vrai que l’activité du traducteur professionnel se déroule désormais en grande partie par voie télématique et qu’elle a pour domaine d’action le monde entier, il nous semble évident que le professionnel de la traduction doit maîtriser parfaitement les potentialités des langages multimédias de l’Internet; pour cette raison, notre Master a adopté un support télématique visant à fournir aux étudiants une préparation complète aussi bien du point de vue linguistique que du point de vue technologique (maîtrise des logiciels de FAD, des logiciels de traduction assistée, etc.).
Le support du Master est donc tout à fait nouveau, comme est nouveau le programme d’études, qui repose sur une grande interdisciplinarité : notre cours a comme objectif la formation de professionnels dans le domaine de la traduction aussi bien que du droit. Pour offrir aux étudiants la possibilité d’approfondir leurs compétences dans deux domaines de recherche aussi différents, notre équipe d’enseignants est composée aussi bien de spécialistes de la langue et de la traduction que de professionnels du droit – italiens et étrangers – hautement qualifiés, en poste dans des universités italiennes et européennes. C’est la synergie entre professionnels des deux secteurs, rarement exploitée jusqu’à présent, qui constitue un autre atout fondamental de ce Master, dont la structure didactique, strictement organisée, prévoit la collaboration étroite et constante entre les enseignants de droit et de langue-traduction : chaque semaine, un sujet de droit est virtuellement abordé par le cours de droit, et l’étudiant est invité à interagir avec le professeur et avec les autres étudiants de son agence (dans le cadre de la simulation, les participants sont groupés en agences de traduction), à évaluer les compétences acquises à travers des tests interactifs en ligne, ainsi qu’à approfondir leurs connaissances par des recherches documentaires sur la Toile. Pendant la même semaine, le même sujet est au centre des cours de civilisation et de terminologie juridique, ainsi qu’au cœur des textes de traduction – thème et version – sur lesquels l’étudiant est appelé à travailler, selon un programme très précis et très ciblé, qui prévoit une organisation rigoureuse :
une première phase de lecture-compréhension du texte à traduire;
une phase de recherche documentaire sur l’Internet;
une phase de traduction individuelle;
une phase de traduction en groupe, visant à renforcer les liens entre les étudiants et l’échange des connaissances ;
une phase d’approfondissement linguistique, par la rédaction de glossaires spécialisés.
Les enseignants des différentes disciplines travaillent en collaboration étroite, de façon à fournir aux étudiants des unités didactiques les plus homogènes possible, qui guident l’apprentissage de façon rigoureuse et précise : l’enseignant virtuel est donc bien présent dans notre cours, qui ne se veut pas seulement un répertoire de ressources pour l’auto-apprentissage, mais bien un instrument complet pour la formation continue.
L’autonomie de l’apprenant, bien sûr, n’est pas sans importance dans notre méthodologie didactique : le Master ne prévoit point d’horaires précis pour suivre les cours, chacun pouvant les choisir sur la base de ses exigences individuelles. Le cours présente toutefois des règles et des échéances précises, qui reproduisent le plus fidèlement possible les échéances de calendrier de la vie d’un traducteur professionnel, afin que les étudiants puissent s’y entraîner avant d’entrer dans le monde du travail. Il nous semble en effet fondamental, dans un dispositif de FAD, de garantir aux étudiants un suivi didactique rigoureux et conscient, pour assurer la bonne réussite de leur apprentissage : la meilleure forme d’auto-formation est à notre avis une sorte de semi-liberté, ou mieux, pour rester dans le domaine du langage juridique, une liberté conditionnelle , qui laisse les participants libres de gérer leur temps et leurs modalités d’apprentissage, mais sous la vigilance et le contrôle des enseignants, des tuteurs, et l’œil d’un garant d’exception : rien de moins que l’Union Européenne, dans sa forme la plus virtuelle, au cœur de notre simulation globale.
LA SIMULATION COMME OUTIL D’APPRENTISSAGE DANS LE PROJET F@ RUM
D’après l’expérience de notre équipe de recherche, il nous semble intéressant de faire une analyse plus approfondie de la valeur des simulations comme outil d’apprentissage dans le cadre d’un cours de perfectionnement en formation continue. Notre réflexion a pour objet la description d’un scénario virtuel, aussi réaliste que possible, présentant une situation professionnelle propre à donner des motivations fortes aux étudiants pour les « fidéliser » par rapport au processus d’apprentissage. À cet égard, nous voudrions définir et mettre en valeur les points qui caractérisent le scénario réalisé par notre équipe, aussi bien que le rôle des enseignants et des étudiants à l’intérieur d’une réalité virtuelle proche du jeu de rôle et de la simulation globale.
Il apparaît que l’emploi du jeu de rôle et de la simulation comme des instruments didactiques est un des points fondamentaux pour réaliser un parcours d’apprentissage en formation continue, où il est nécessaire de trouver les moyens efficaces pour stimuler et motiver les étudiants. La motivation est certainement l’un des problèmes que l’équipe du Master s’est posée au cours de l’élaboration de son projet d’un cours de traduction juridique entièrement à distance, via Internet.
En effet, le danger le plus prévisible de tous les cours à distance est bien sûr la perte de motivation de la part des étudiants, perte qui peut menacer leur réussite. Pour résoudre ce problème, l’équipe du Master a réfléchi aux risques liés à un canal de communication qui bouleverse les rapports traditionnels entre enseignant et étudiant et qui laisse l’apprenant seul devant un écran impersonnel, sans obligations strictes d’horaires, hors de toute dynamique de groupe et plongé dans une réalité virtuelle. Voilà pourquoi l’équipe du Master, suivant la philosophie qui se trouve à la base du projet d’un cours entièrement à distance et après avoir considéré tous les avantages que la réalité virtuelle des jeux et des simulations pourrait offrir, a décidé de réaliser et d’utiliser un modèle de simulation proche du jeu de rôle, comme moyen pour établir et consolider les rapports entre les étudiants et les enseignants.
C’est ainsi qu’a pris forme et a été réalisé un scénario complexe pour favoriser la formation professionnelle de nos étudiants qui se trouveront insérés dans un contexte virtuel reproduisant des conditions réelles de travail. Ce scénario se doit de remplir les quatre fonctions que nous jugeons nécessaires à la fois pour favoriser le processus d’apprentissage et pour préparer les élèves à leur travail télématique dans le domaine spécifique de la traduction :
amuser, comme on l’a dit, pour « fidéliser » (jeu de rôle) ;
pousser à la coopération en créant dans le monde virtuel des dynamiques de groupe semblables à celles de la réalité présentielle (en milieu scolaire et professionnel) ;
recréer les conditions professionnelles spécifiques du travail de traducteur ;
recréer l’environnement situationnel et relationnel qui constitue l’horizon socioprofessionnel de ce travail.
Cela implique la réalisation de traductions en groupes où l’étudiant apprendra à respecter les délais pour remettre ses devoirs et perfectionnera une méthode pour mieux gérer son emploi du temps. Ce scénario permettra aussi aux enseignants – eux aussi engagés dans la simulation–d’obtenir des résultats plus performants à travers une coordination de leur activité :
en maintenant le contrôle didactique sur les étudiants ;
en motivant constamment les étudiants pour réduire au minimum l’abandon que l’absence d’une formation présentielle pourrait provoquer.
À cette fin, le cours prévoit de plonger l’étudiant dans une simulation globale fondée sur un scénario réaliste capable de stimuler l’interactivité, la collaboration de groupe et une attitude positive à l’égard du travail à distance. Pour améliorer les compétences dans le domaine de la communication sur la Toile et pour favoriser la « fidélisation » aux cours, on misera aussi sur le développement d’un certain esprit de compétition et sur les aspects ludiques du travail : on encouragera sur ce point la créativité des étudiants.
Pour ce faire, ceux-ci seront divisés en « groupes-entreprises » virtuels, où ils devront travailler comme dans des sociétés de traduction réelles, et ils auront à leur disposition des espaces virtuels destinés à leurs réunions. Ils recevront donc une identité de groupe : ils pourront la perfectionner suivant leur inspiration, pourvu que cela ne s’oppose pas à la régularité et à l’efficacité des procédés didactiques. Ils pourront aussi se créer des identités individuelles qui les poussent à travailler de façon plus efficace dans le cadre du scénario préétabli.
Le rôle stratégique du scénario de la simulation devient alors évident dans l’ensemble du projet du Master, ainsi que celui de sa « crédibilité », comme une analyse plus détaillée pourra le montrer. Le canevas de notre simulation, dont on trouvera tous les détails sur notre site, puise en effet dans la réalité son thème et sa trame. On a imaginé que l’Union Européenne (U.E.) avait approuvé le projet d’une étude sur les différentes législations des pays membres. À cet effet, l’U.E. organise un « bureau juridique virtuel » sur Internet qui devra diriger et garantir l’exactitude des traductions des textes juridiques. Après une sélection, une société de traduction sera chargée de cet important mandat. Mais ce travail s’annonce difficile car il demande des compétences spécifiques, et par conséquent le « bureau » a jugé nécessaire de contrôler toutes les sociétés de traductions, aussi bien que les traducteurs free-lance qui se présenteront au concours. Le « bureau », pendant une durée d’un an, donnera des documents à traduire aux concurrents en leur offrant des supports juridiques et linguistiques qui seront confiés à une Université de l’U.E. Sur la base des résultats et après avoir testé le niveau professionnel des traducteurs, y compris en ce qui concerne le respect des délais, le « bureau » confiera le contrat à l’entreprise qui aura obtenu le meilleur classement.
Le scénario prévoit aussi des règles que tous les participants doivent s’engager à respecter : les étudiants doivent respecter les consignes individuelles et celles de groupe, effectuer personnellement le travail à faire et participer au travail de groupe. À leur tour, les enseignants doivent, à l’aide des unités didactiques complexes et d’un contrôle régulier du travail des participants, garantir la formation linguistique et juridique. Mais les enseignants doivent aussi stimuler et gérer des débats en ligne sur les problèmes de traduction en offrant des versions optimales aussi bien que des instruments de compréhension et d’assistance.
Un cours fait entièrement à distance oblige aussi les enseignants à modifier leur méthodologie de travail. Il s’agit de changer de perspective, d’inventer d’autres cadences didactiques qui s’adaptent mieux aux nouvelles technologies. Au-delà d’une méthodologie assez traditionnelle que l’on retrouve toutefois dans une certaine mesure dans le Master, l’enseignant est appelé à modifier sa perspective, il doit travailler dans un milieu virtuel, coordonner des discussions en ligne dans son domaine de compétence, garantir le suivi personnel et de groupe par courriel et par des réceptions virtuelles. Mais dans le scénario, l’enseignant joue aussi le rôle que l’U.E. lui a confié; s’il le désire, il peut se créer une personnalité compatible avec l’idée d’entreprise proposée par la simulation, de sorte que l’image de l’enseignant peut s’intégrer dans le projet du « bureau juridique virtuel » et interagir complètement avec celle des étudiants et des collègues pour la réussite du projet. Tout cela provoque une modification profonde au niveau de la méthode de l’enseignement; le Master devient alors un défi pour l’enseignant lui-même, car toutes ses compétences doivent s’adapter au monde nouveau et virtuel de la Toile.
PREMIER BILAN APRÈS LA PREMIÈRE ÉDITION DU COURS (MARS-NOVEMBRE 2003)
En novembre 2003, à la fin de la première édition du Master, il nous est possible de dresser un premier bilan, pour incomplet qu’il soit, de cette expérience didactique. Tout d’abord, il semble nécessaire de fournir aux lecteurs quelques données concrètes sur la première édition du cours :
Le Master a eu lieu dans la période du 24 mars au 14 novembre 2003, avec des périodes de pause entre les différentes phases du cours (24 mai-8 juin; 19 juillet-7 septembre) ; pendant la pause du mois d’août, une activité facultative de révision de textes a été organisée pour maintenir un contact entre les étudiants d’un côté, et entre les étudiants et les tuteurs de l’autre.
L’examen final comprend deux épreuves de traduction (français-italien, italien-français), un test sur les cours théoriques (droit français, droit italien, culture juridique italienne et française), et la réalisation d’un glossaire terminologique d’au moins 10 fiches. La validité du cours est de 30 CFU (crédits universitaires).
Trente étudiants (organisés en sept groupes) ont participé au cours avec assiduité, le pourcentage d’abandon se révélant très faible (quatre étudiants au tout début du parcours, et un seulement vers la fin des activités, pour des raisons par ailleurs étrangères au cours) ; le profil de l’apprenant-type participant au Master est en effet celui du professionnel de la traduction ou du droit, ayant une maîtrise en langues étrangères ou en droit et avec quelques années d’expérience dans le domaine de la traduction free-lance.
La qualité de l’interaction en général a été satisfaisante : la plupart des étudiants ont respecté les échéances prévues par l’équipe et ont participé avec sérieux et compétence aux activités proposées ; les groupes – ou les agences – ont travaillé en collaboration étroite pour réaliser les traductions, exploitant les outils de communication mis à leur disposition par la plateforme e-learning utilisée (notamment les forums de discussion communs et les forums spécifiques pour chaque groupe); les apprenants ont mis en commun leurs compétences et connaissances préalables (qui étaient le plus souvent hétérogènes, les groupes étant formés par les tuteurs sur la base d’un critère de complémentarité des profils), et certains groupes ont réussi à créer un climat de convivialité à l’intérieur de leur espace virtuel, la communication portant tantôt sur les traductions et les cours, tantôt sur les petits problèmes familiers des participants (maladies des enfants, climat dans les différentes régions de provenance des composants du groupe,…) ; parfois, le groupe a même eu la fonction de « centre de solidarité »…
Le rapport avec les tuteurs a été fondamental pour la réussite du cours ; l’équipe du Master était composée de cinq tuteurs, chacun s’occupant de tous les cours et de la salle virtuelle commune (la salle des tuteurs, où les apprenants pouvaient communiquer directement avec leurs « anges gardiens », posant des questions sur les échéances, les modalités de travail, mais aussi des questions techniques), chacun caractérisé toutefois par un style de communication et une personnalité virtuelle différente (l’un exerçant plutôt une fonction de technicien, l’autre de médiateur, l’autre encore de secrétaire,…). Chaque tuteur avait enfin la tâche d’un monitorage plus étroit vis-à-vis de un ou deux groupes. Cependant, le rôle fondamental des tuteurs a été celui de la gestion de la communication sur la plate-forme : ouvrir les espaces de discussion, maintenir l’intérêt des apprenants, guider les discussions et les forums, trouver une solution aux situations de conflit, animer les espaces communs,… La communication médiatisée par ordinateur étant par essence caractérisée par une certaine faiblesse des dispositifs sociaux qui caractérisent en revanche la communication présentielle (distribution et respect des rôles, présence des éléments non-verbaux, gestuels, mimiques, proxémiques,…), une longue période de communication non-présentielle peut facilement engendrer des difficultés d’interaction parmi les membres de la communauté virtuelle (malentendus et conflits de rôles, absence de freins et d’inhibitions, ou encore manque de respect et animosité dans les messages,…). Pour éviter ce risque, qui peut parfois conduire à l’échec du parcours de formation, les tuteurs doivent être conscients de l’importance de leur fonction, et doivent savoir exploiter les ressources à leur disposition pour rendre la communication plus aisée. Entre autres, nous avons remarqué, d’après notre expérience comme tuteurs du Master, des éléments fondamentaux que nous citerons rapidement pour conclure : d’abord, la non-présence engendre chez les apprenants une sensation fréquente de dépaysement, d’abandon face à la plate-forme et aux matériaux didactiques ; pour pallier cet inconvénient, le travail en groupes s’avère une méthodologie performante, mais la fonction des tuteurs se révèle vraiment capitale, les étudiants exprimant souvent la nécessité d’un rapport plus étroit avec des figures d’appui, de soutien; dans cette optique, le tuteur est censé créer un climat de convivialité, par un ton amical et informel qui tente parfois de reproduire un environnement connu, familier : bien souvent, nous avons inséré des photos d’objets réels dans nos messages, par exemple café et croissants virtuels pour le petit-déjeuner, ou une plage ensoleillée pour les vacances… Pour éviter toute incompréhension, ensuite, la communication des tuteurs se doit d’être la plus claire et la plus redondante possible : à ce propos, il peut être utile de répéter le même message dans différentes parties de la plate-forme; enfin, c’est aux tuteurs que revient la fonction difficile et délicate de médiateurs dans les situations de conflit qui peuvent se produire à l’intérieur des groupes ou entre les apprenants et l’équipe organisatrice; dans ces cas, une bonne stratégie peut être celle de distribuer les responsabilités et les différentes tâches sur la base du style de communication de chaque tuteur (sévère, amical, diplomatique,…).
Pour parvenir à une première évaluation, un questionnaire a été distribué aux participants à la fin du cours. Ce questionnaire leur permettait de juger le Master, les cours suivis, les activités organisées, leur interaction avec la plate-forme e-learning et avec leurs collègues, et leur perception du travail non-présentiel. À l’analyse des premiers questionnaires, il ressort essentiellement que :
le temps moyen consacré au Master a été de 2-3 heures par jour et 10-12 heures par semaine – tous les étudiants ayant signalé une certaine difficulté à suivre les rythmes imposés par le cours, ainsi qu’à utiliser les outils de communication à distance (forum et chat); à ce propos, il convient de souligner que l’utilisation du chat a été réservée aux échanges moins formels à l’intérieur des groupes de travail, alors que le forum représentait le lieu des échanges « officiels » avec les tuteurs et les enseignants ;
tous les participants ont souligné l’importance du rôle des tuteurs, considérés comme éléments fondamentaux de la structure du cours de par leur fonction d’aide pédagogique et informatique ainsi que de soutien psycho-logique;
en ce qui concerne les enseignants, leur participation a été favorablement évaluée, ainsi que le choix des cours insérés dans le Master, notamment des cours de traduction et de droit;
l’aspect de la simulation a été bien perçu, même si les étudiants ont signalé des difficultés à s’adapter au cadre virtuel, pour ce qui concerne aussi bien l’organisation du travail que la qualité de l’interaction dans un contexte de communication médiatisée par ordinateur ;
la grande majorité des participants a apprécié la méthodologie de FAD du cours, qui leur a permis de suivre un cours de perfectionnement compatible avec leur profession et leur vie de famille; la réalisation du cours sur plate-forme informatique leur a également offert la possibilité de perfectionner leurs compétences techniques dans le domaine du télétravail; à la question finale « Si vous aviez eu la possibilité de suivre ce cours en présentiel, l’auriez-vous préféré ? », seul 15 % des participants ont répondu « oui ».
Un premier bilan de cette expérience de formation se révèle tout à fait positif pour notre équipe de recherche; l’élaboration et la réalisation du Master ont impliqué une réflexion méthodologique approfondie, essentiellement centrée sur les nouveaux protocoles didactiques, les modalités d’enseignement/apprentissage dans des contextes de FAD, les nouvelles figures au centre du processus de formation, les nouveaux rôles des enseignants et des apprenants. Il nous semble que la validité de cette expérience au niveau de la recherche pourrait finalement s’avérer précieuse également dans le domaine de la didactique des langues au sens large. Il suffirait de penser entre autres aux avantages :
pour la recherche de la traçabilité des parcours et des acquisitions que permettent la FAD à travers des logiciels de gestion et de contrôle des apprenants ;
de l’enregistrement des données de tout ordre (la participation des étudiants, leurs acquis, et leurs parcours de formation) qui pourrait constituer un corpus d’une très grande utilité, alors que pour l’enseignement traditionnel les pratiques d’enregistrement sont lourdes et difficiles à pratiquer de manière systématique.
Dans cette optique, nous sommes convaincues que la didactique de la formation à distance pourra sans doute jouer le rôle d’un réactif au sens chimique du terme, nous éclairant sur elle-même mais aussi sur des phénomènes plus généraux.
Source: cairn.info
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